Pourquoi la bonne chère laisserait-elle de marbre les héros des romans policiers alors qu’elle se glisse allègrement dans nos conversations, nos magazines, nos programmes télé ? Au quotidien comme dans les moments d’exception, la nourriture occupe une place non négligeable. En littérature, des “belles tripes frites” de Rabelais à la première gorgée de bière de Philippe Delerm, les plaisirs gourmands s’invitent souvent : on épluche, on épice, on mitonne, on déguste et on trinque. Des goinfres notoires de la BD : Obélix, Averell Dalton et Hägar Dünor  régalent les lecteurs plus perplexes face à Gaston Lagaffe et à ses nombreux essais culinaires souvent explosifs.

Aucune raison que la gastronomie soit absente de l’univers des enquêteurs ou même des criminels… un breuvage ou un aliment délicatement choisi, gentiment empoisonné ne peut-il constituer l’ingrédient d’un crime presque parfait ?

Sans être “menottés” aux tables étoilées, nombre d’enquêteurs entretiennent avec la gastronomie des liens privilégiés. Un flair infaillible les guide volontiers vers un caveau, un restaurant de quartier, une sympathique brasserie semblable à celles où  le commissaire Maigret a si souvent aimé s’attabler.

Seraient-ils plus gourmands, plus épicuriens que le commun des mortels ? Quand  les planques s’éternisent, quand la compagnie des cadavres se fait pesante, quand l’enquête se traîne péniblement, qu’il est bon de se sentir bien vivant, bon vivant, en goûtant au simple plaisir de déguster une bière fraîche et mousseuse, un joli vin de pays sur un plat de terroir odorant, un grand cru compagnon fidèle du mets raffiné qui ravit les papilles.

Dans l’œuvre de Rabelais, soif et appétit gargantuesques constituent des métaphores de la faim de connaître, d’apprendre, de découvrir. Chez nos fins limiers, au plaisir gourmand s’ajoute souvent une fringale d’humanité, de chaleur humaine. Autour de la convivialité d’une table se consolide l’indispensable esprit d’équipe. C’est la camaraderie qui tinte quand les verres s’entrechoquent, ce sont des parfums de complicité, de solidarité, d’amitié qui s’élèvent des assiettes et des marmites en même temps que les odeurs alléchantes de grillades, de fricassées ou de civets.

Pour tenir bon dans un univers inhumain où il faut affronter inlassablement malfrats sans foi ni loi, criminels impitoyables voire même avocats retors, il est impérieux de savourer le meilleur de la vie en partageant la chaleur d’un repas convivial, en trinquant à la solidarité de ceux qui partagent la même volonté de faire triompher la vérité.

Est-ce pour cette raison que les “poulets” empruntent à l’envi leur vocabulaire au monde de la gastronomie ? Avant que, pour le criminel, les carottes ne soient cuites, les enquêteurs ont le choix : le garder au frais, le soigner aux petits oignons, le laisser mariner, baigner dans son jus, mijoter, à moins de le mettre directement sur le grill. Tout cela dans le respect des procédures, histoire d’éviter des ennuis avec les bœufs-carottes.

Pour parvenir à la vérité, des méthodes plus conviviales peuvent expliquer la complicité qui unit littérature policière et gastronomie. Beaucoup d’affaires se traitent au restaurant, un bon repas peut se faire complice d’une rencontre romantique…, un repas copieux et bien arrosé peut délier les langues. Bons plats et bons vins aiment faire équipe et peuvent permettre à l’enquêteur avisé de recueillir de précieuses confidences : “In vino veritas”.

Dans le vignoble, certains visent l’abondance de la production, d’autres privilégient les vins concentrés, charpentés, à la finale longue en bouche, d’autres encore proposent des vins plus légers, plus gouleyants, sympathiques. N’en va-t-il pas de même en littérature policière ? Selon leurs goûts les lecteurs dévoreront sans modération des enquêtes divertissantes, savoureuses, corsées, palpitantes, angoissantes et aussi très souvent gourmandes.

 

Pack In vino veritas 6 titres