Luc Fori juin 2017

Vade retro satanas est le quatrième volume des enquêtes de Will Carvault, personnage atypique et attachant créé par Luc Fori. Comme les précédents, il se déroule à Bourges, avec un petit détour du côté de Bruxelles.

Will Carvault est en froid avec Heike, la commissaire Ziegler, qui vient de donner naissance à leur fils, Jan. Alors, pendant qu’elle traque un tueur qui décapite les femmes, il va traîner ses guêtres à Bourges Nord, du côté de la mosquée, pour rendre service à son voisin et tenter de retrouver la trace de deux jeunes apprentis djihadistes.

Ce qui va l’entraîner jusqu’à Bruxelles, en compagnie de son pote Roger, qui a bien besoin de se changer les idées à la suite d’un gros chagrin d’amour. Ensuite... Eh bien, il y aura quelques cadavres, quelques rebondissements et même des mitraillettes (mais pas celles qu'on croit) avant une chute en forme de pied-de-nez.

On suit avec plaisir les aventures de ce personnage qui porte sur le monde un regard décalé et plutôt bienveillant, même s’il ne rechigne pas à la bagarre.

Will Carvault : "C'est vrai que, vue de loin, l'évolution de ma vie professionnelle ne semble pas aller vers l'exaltation. J'ai commencé comme flic de choc, viré pour avoir voulu faire entrer d'un coup les vingt mille définitions du Robert dans la tête d'un skin. Le gars est mort, violente allergie au savoir sans doute, on ma démissionné et j'ai ouvert une agence privée." Extrait de vade retro satanas

Avec la ville de Bourges en toile de fond, on a parfois l’impression qu’on pourrait croiser cette armoire à glace au cœur en bandoulière au détour d’une rue. Le récit, qui mène de front deux enquêtes -joli tour de force- coule joyeusement, porté par la fantaisie et le sens de l'autodérision, en passant par quelques digressions mais sans jamais perdre le fil.

Les clins d’œil ne manquent pas. Au lecteur, parfois interpellé directement, et que l'auteur met dans sa poche dès les premières lignes. À la musique, avec un Carrefour joliment  transformé en Crossroads. À Frédéric Dard, aussi, à travers un goût prononcé pour les jeux de mots, les titres de chapitres tirés par les cheveux ou encore les listes interminables - « Je crois que c’est lié au fait que nous avons la même référence et toile de fond, Rabelais », note Luc Fori.

Un goût prononcé pour les jeux de mots

Mais des références, ce prof de lettres berruyer en a quelques autres, comme Prévert, Montaigne  ou Voltaire, sans oublier Jim Thomson ou Pierre Lemaître. Son écriture se nourrit aussi de son sens de l'observation, car il aime aller voir, toucher du doigt ce qu'il décrit, rencontrer des gens. Cela donne de la consistance à ses descriptions et à ses personnages.

Les paraboles, tournées vers des ondes qui viennent des pays chauds, disent assez la mélancolie du quartier aujourd'hui. Autant de fenêtres sur un ailleurs fantasmé : les contes des mille et une nuits modernes, souks, palmiers et dromadaires sur écrans plats.

Martine Pesez